Prague, le 24 août 2006 : il est exactement 15h33 quand Pluton perd définitivement son statut de planète et 15h54 lorsque les astronomes votent en faveur de la résolution 6a qui le reconnaît comme prototype de toute une famille de « gros objets trans-neptuniens ». Ce jour historique pour l’Astronomie l’est-il aussi pour l’Astrologie ? En dehors du fait constaté que le principe démocratique s’applique également à la science, quelles sont les conséquences de ce déclassement pour les astrologues et surtout pour l’astro-psychologie ? Telle est la question que l’on peut se poser. Profitons donc de cette actualité pour fournir quelques éclaircissements.
Sur le plan astronomique, Pluton a été découvert par Clyde Tombaugh, à l’observatoire de Lowell en Arizona, en février 1930. On supputait déjà son existence à cause de certaines perturbations dans le mouvement d’Uranus et de Neptune et suite aux travaux de Percival Lowell. Sa course autour du Soleil est excentrique, ce qui l’amène à passer régulièrement en deçà de l’orbite de Neptune et sa révolution complète avoisine les 250 ans en raison de son éloignement du Soleil. Comme les autres planètes du système solaire, elle reçoit un nom provenant de la mythologie gréco-latine dont les deux premières lettres commémorent la mémoire de Percival Lowell.
Pour saisir la signification symbolique de Pluton sur le plan astrologique, il faut d’abord le replacer dans sa lignée mythologique et se plonger en pleine intrigue familiale. Remontons donc aux origines.
Selon le mythe olympien de la création du monde, au commencement de toutes choses était le chaos, le règne de l’indifférencié. La Terre-Mère, Gaïa, surgit de ce chaos et met au monde son fils Ouranos, le ciel étoilé, pendant son sommeil... A peine né, Ouranos, Uranus - le ciel - fait descendre sur sa mère une pluie fertile qui va donner naissance à la végétation, aux animaux, créer les rivières, les lacs, la mer... Ce dieu considéré dans le panthéon olympien comme le Père originel, épouse sa mère et engendre les Titans parmi lesquels Cronos-Saturne, le plus jeune des sept. Ouranos est un procréateur anarchique et très fécond. Il jette ses multiples enfants dont les Cyclopes, créatures à l’œil unique, dans le Tartare, partie la plus souterraine et la moins accueillante des Enfers. Ouranos procrée donc sans relâche et se débarrasse sur le même rythme de sa monstrueuse progéniture (ses premiers enfants ont des corps à moitié humains) dans les Enfers. Gaïa, lasse que ses multiples enfants lui soient toujours arrachés, persuade les Titans d’attaquer leur père ; ce qu’ils font sous la conduite de Cronos-Saturne qui, armé de la harpé - faucille en silex -, castre son père et lance dans la mer ses organes génitaux. Des gouttes de sang naissent les Erynnies - furies qui vengent les parricides et les parjures - et de l’écume de la mer, autrement dit de sa semence, sort Aphrodite-Vénus, la déesse de l’Amour.
Les Titans délivrent alors leurs frères les Cyclopes et Saturne est reconnu comme souverain. Saturne prend pour épouse sa soeur Rhéa à qui le chêne était consacré. Aussitôt qu’il détient le pouvoir, il relègue tous ceux qu’il craint dans le Tartare. Comme il lui avait été prédit par ses parents que l’un de ses enfants le détrônerait à son tour, il dévore scrupuleusement tous les enfants que sa femme met au monde. Rhéa est furieuse, on la comprend. Lorsqu’elle accouche de Jupiter-Zeus, elle le cache à son divin époux dans une caverne et le laisse aux soins des nymphes. Pour y parvenir, Rhéa avait enveloppé de langes une pierre grossière qu’elle lui fit avaler à la place de l’enfant. Zeus-Jupiter devenu adulte décide de se venger de son père. Sa mère lui procure alors un breuvage vomitif, mélangé à une boisson au miel qu’il fait boire à son père ce qui a pour effet de lui faire rendre, heureusement indemnes, tous ses enfants qu’il avait ingurgités. Pleins de gratitude envers leur frère, ils lui demandèrent d’être leur chef contre les Titans menés par Atlas.
A l’issue d’une guerre de dix ans, Zeus-Jupiter délivre les Cyclopes du Tartare et les Géants aux cent bras, leur redonne des forces et se les adjoint comme alliés. Ceux-ci lui donnent la foudre, arme et attribut de son pouvoir, à Hadès-Pluton le casque qui le rend invisible et à Poséïdon-Neptune le célèbre trident. Les trois frères victorieux des Titans – l’ancien monde - reprennent le pouvoir à leur père Cronos-Saturne. Exilé d’abord dans le Tartare, puis dans l’île des Bienheureux, dans les fameux Champs-Elysées, il y règne, dit-on, en maître bienveillant sur les âmes des héros. Quant à Zeus-Jupiter, il commanda désormais l’Olympe et maintint son autorité grâce à la crainte qu’inspirait son éclair fatal.
Si Neptune est devenu maître des océans et Jupiter du Ciel, Pluton a reçu, quant à lui, le séjour souterrain des enfers. Pluton signifie le riche (ploutos, la richesse en grec) puisque toutes les créatures vivantes finissent un jour ou l’autre par rejoindre son domaine. Dieu des Enfers, il est le maître de ce qui est occulte, caché, nocturne, mystérieux. Il représente les forces de l’invisible, c’est l’antithèse du Soleil, son domaine est l’exil de la vie.
Au plan psychologique, Pluton, nous dit André Barbault, « symbolise les profondeurs de nos ténèbres intérieures qui rejoignent la nuit originelle de l’âme, c’est-à-dire les couches les plus archaïques de la psyché ». Autrement dit, il est le digne représentant de notre inconscient le plus primitif, le plus collectif, ce qui en chacun représente cette « queue du saurien » que l’homme civilisé traîne encore derrière lui, selon le psychiatre Carl Gustav Jung. Selon l’optique freudienne, Pluton est en correspondance avec le stade sadique-anal, les instances du ça, les pulsions, les forces vitales qui ont besoin d’être canalisées par le moi conscient sous peine de débordement destructif. D’ailleurs Hadès, nom grec de Pluton, signifie brûler, transformer (fonction de l’élément feu) et Pluton gouverne le Scorpion, symbolisé aussi par l’aigle ou le phénix, oiseau magique qui renaît de ses cendres. Il évoque un processus de mort et de renaissance. Sa symbolique nous fait entrer dans le monde du caché, du subtil, de l’inconscient le plus profond de l’espèce, dans l’univers de la transformation irrémédiable : « si le grain ne meurt ».... image de la putréfaction de la graine dans la nature, stade de la nigredo des alchimistes ou descente aux enfers qu’on retrouve dans toute aventure initiatique aux quatre coins du monde. Dans son royaume souterrain, Pluton était le juge des âmes qu’il évaluait non pas à leurs actes mais à leurs motivations, sa perspicacité aiguë lui permettant de dépasser les apparences. Rien ne lui échappait. Il faisait régner sa loi avec une rigueur implacable mais une justice inébranlable. Pluton l’invisible voyait tout.
Dans un autre registre, l’astrologie mondiale tente d’étudier l’intrication des cycles planétaires au regard des soubresauts de l’histoire et des grandes phases des mouvements collectifs qui marquent les changements de civilisation et l’évolution des sociétés. Vaste programme qui en est encore à ses prémices puisqu’il s’agit de croiser des domaines aussi variés que l’histoire, la géo-politique, l’économie, la sociologie… avec les techniques prévisionnelles et la symbolique astrologique et qui requiert la synergie d’éminents spécialistes. Pour cette discipline, Pluton représente « tout ce qui est caché ou secret dans une société, [… ] l’ombre du collectif. Partant du simple niveau des éboueurs, des spéléologues et des archéologues, nous passons au plan plus sinistre de la police secrète, du crime organisé et de toutes les pulsions autodestructrices. Il gouverne ce que Jung appelle les ruptures psychotiques dans l’inconscient collectif. [… ] Pluton représente le principe de renaissance aussi bien que la mort, de sorte que l’on peut demander si à long terme il est bénéfique pour des sociétés de connaître des expériences traumatisantes [… ]. Si nous reprenons l’analogie avec le corps politique, Pluton représente le principe guérisseur qui contraint la collectivité, en tant que tout organique, à faire l’expérience de violentes phases d’autoguérison afin de recouvrer une bonne santé ».
En définitive, Pluton symbolise une énergie profonde, intangible, voire indicible. Elle peut être mise en correspondance avec le principe de contradiction et d’ambivalence, avec la soif d’absolu et le sentiment de l’absurde et se manifeste souvent via une forme d’opposition viscérale (sorte d’envers de la lumière solaire qui elle est affirmation). D’une part la prescience de l’invisible, la possibilité d’accès aux trésors cachés, aux richesses enfouies, secrètes, d’autre part le monde de l’obscur, de l’angoisse, de la mort. Détruire pour reconstruire, mourir pour renaître sur un autre plan, c’est l’essence du processus plutonien. Principe de mutation alchimique – transformer le plomb en or -, de métamorphose à travers les crises de l’existence pouvant conduire à la transcendance comme à la destruction totale. Rejet des déchets, des scories inutiles, intégration de l’essentiel (les gemmes se développent au coeur de la terre comme l’or noir...). Processus de déstructuration, de fermentation, rites de passage, Pluton redonne jeunesse à la vieillesse, évoque les rites d’enterrement en vue de la résurrection. On remarque que la découverte de cette ex-planète fut contemporaine de la montée du nazisme et se situe à l’orée de la deuxième guerre mondiale tandis qu’elle est aussi en corrélation avec le nucléaire et son déploiement – la bombe atomique - comme de l’existentialisme et de la psychanalyse. Image de puissance concentrée à l’extrême, d’énergie à double face dont nous commençons à mesurer dramatiquement les effets dangereux en terme de pollution ou de terrorisme.
Il est intéressant de constater que la relégation de Pluton dans la catégorie des planètes « naines » intervient à un moment critique sur le plan de l’évolution du monde : incertitudes devant ce qui va remplacer les valeurs anciennes qui se décomposent, peurs face à un avenir totalement inconnu auquel le grand brassage des cultures semble devoir aboutir, aux modifications structurelles de la famille, aux avancées de la génétique et des biotechnologies, inquiétudes liées à l’allongement de la durée de la vie humaine et à la concurrence entre générations dans la sphère professionnelle sans parler des problèmes écologiques menaçants. Si Pluton est aujourd’hui renvoyé dans ses quartiers sous le numéro 134340 qui lui a été attribué, il nous invite peut-être à nous interroger sur les correspondances que ces changements de nomenclature scientifique ont à voir avec les mutations que nous avons vécues depuis plus de soixante-dix ans et leur répercussion sur la psychologie des individus et des sociétés, à réfléchir à ce qu’il est impératif de réformer pour rompre avec les processus de destruction actuellement à l’oeuvre.
Avant la découverte de Pluton, Saturne contenait dans sa propre symbolique une grande part des contenants psychiques et des préoccupations humaines que nous avons projetés sur ce corps lointain. Les courants d’astrologie traditionnelle ne se réfèrent d’ailleurs qu’au septénaire des anciens, c’est-à-dire aux sept « planètes » visibles excluant les découvertes ultérieures afin de rester fidèles aux règles ancestrales et de ne pas se disperser. C’est peut-être faire fi du mouvement incessant dans lequel les humains sont emportés, celui de notre bonne vieille planète terre, de notre système solaire et de la multiplicité des corps nouvellement répertoriés à ses confins, sans parler des surprises que nous réserve encore le ballet des galaxies. L’astro-psychologie étant une grille de lecture de la psyché, elle évolue comme tous les modes de connaissance et ne peut que s’enrichir d’intégrer peu à peu l’évidente complexité de la vie. D’autres « planètes naines » entreront sûrement dans la danse astrologique comme l’astéroïde Chiron déjà bien apprivoisé.
Après l’exclusion de Pluton du cortège planétaire par l’Union astronomique internationale, une pétition de chercheurs a circulé sur Internet et des manifestations en faveur de la réhabilitation de l’ex-planète se sont déroulées. Une stèle a été dédiée à Pluton et les condoléances se sont accumulées. Des messages « repose en paix » ont afflué et une carte à été adressée à l’ex-neuvième planète : « tu vas nous manquer », signée par Mars, Jupiter, Vénus, Mercure et les autres ! Sur le campus de l’université américaine du Nouveau-Mexique les participants arboraient des tee-shirts portant l’inscription « size doesn’t matter » (la taille n’a pas d’importance). Si l’astrologie n’est pas une simple affaire de cailloux et peut poursuivre l’étude de son objet malgré le déclassement de Pluton, on voit que l’astronomie, science exacte, peut déclencher bien des réactions passionnelles. Attention donc au retour du refoulé…