PAR ARIANE VALLET
Peintre et sculpteur, Nicky de Saint-Phalle, l’une des plus grandes artistes de la seconde moitié du XXème siècle, a laissé derrière elle une œuvre opulente et généreuse lorsqu’elle mourut à San Diego le 21 mai 2002. Née le 29 octobre 1930 à Neuilly sur Seine, elle est issue, du côté de son père, banquier ruiné lors du crack de 1929, d’une grande famille aristocratique française ; par sa mère, née Harper, dont elle a hérité la beauté, elle est d’ascendance américaine. Après avoir été mannequin pour des magazines de mode, Life, Vogue. Après la naissance de sa fille Laura, elle quitte le Massachussets pour la France et Paris.
C’est lors d’un séjour à Nice qu’elle connaît une grave crise de dépression qui l’oblige à un séjour à l’hôpital psychiatrique. La peinture qu’elle y pratique lui apporte un secours thérapeutique et va lui permettre de « régler ses comptes ». Elle se plonge dans l’art corps et âme et se lie aux membres du mouvement naissant des « Nouveaux Réalistes » où elle fait la connaissance de son futur compagnon de route, Jean Tinguely, dont elle va partager la vie jusqu’à sa mort en 1991. Il y a là des artistes tels qu’Arman, Daniel Spoerry, Yves Klein, César et bien d’autres qui vont intégrer à leur travail les objets de la société de consommation pour les broyer, les assembler, les morceler, les déconstruire et les reconstruire. Seule femme dans le groupe, elle se fait connaître pour sa peinture à la carabine : elle tire sur des poches pleine de peinture, les « ouvres », qu’elle fait exploser. « Je veux faire saigner la peinture », dit-elle. Une période marquée par une expression torturée, violente. Puis ce sera sa mariée tragique composée de multiples petits objets assemblés, évocateurs de l’innocence bafouée, exprimant une sorte de révolte viscérale. Son art est lié à sa lutte contre tous les pouvoirs, ceux des hommes vus comme dangereux et destructeurs et associés à la guerre (révolvers, tanks, vampires, crucifix parsèment ses œuvres), ceux de la religion (elle a subi une éducation religieuse catholique rigide). Mais il aboutit à ses « Nanas », ses grosses femmes colorées et épanouies, d’où émerge une nature féminine joyeuse comme si elle se réappropriait le monde de l’enfance.
Les dernières années de son travail donnent à voir des sculptures de grande taille comme celles du Jardin des Tarots, en Toscane où elle-même habita le corps de son impératrice en forme de Sphinx. Une vie artistique vécue comme un voyage initiatique débuté dans un enfer souterrain jusqu’à l’apaisement magique de grandes figures déconcertantes, sortes d’archétypes protecteurs.
Un thème natal fixe, comme un instantané photographique, la position des astres dans le ciel (données célestes) au moment de la naissance d’un individu sur terre (données terrestres) et leurs aspects entre eux (angles privilégiés entre les points du thème) ; c’est la représentation d’une relation entre la sphère céleste et la sphère terrestre, une forme de synchronicité.
Celui de Nicky de Saint-Phalle met en relief le Soleil dans le signe du Scorpion, conjoint à l’Ascendant, figure de proue d’une triple dissonance à Mars en Lion et à la Lune dans le Verseau en signes fixes. Dans une perspective astro-psychologique, on y lit la prégnance de l’image paternelle intériorisée comme fascinante, toute puissante mais menaçante et génératrice de rejet, de refus. Un conflit entre le désir d’agir, de s’affirmer, de s’imposer et le besoin de se sentir en sécurité, de créer des liens, d’entrer en relation. Ce schéma planétaire exprime aussi un manque de protection dans l’enfance, une défaillance perçue dans la relation maternelle, et une forme de rébellion puissante et défensive contre ce qui est perçu comme agressif. Avec une énergie décuplée qui s’oriente vers ce qui est inconnu, ce qui est à explorer, à découvrir. La maison IX, lieu de l’étranger au sens propre comme au figuré, prend dans cette carte du ciel une place prépondérante. Comme s’il fallait se battre contre tous les dogmes établis, les idées reçues et partir à l’aventure pour y découvrir sa propre vérité. Pluton, planète qui régit l’Ascendant Scorpion s’y trouve sous l’égide de Jupiter, principe d’expansion, de développement, dans le signe du Cancer, évocateur de l’enfance, de l’imagination et du merveilleux. Tout se passe comme si, dans ce thème dont les éléments dominants - l’Eau et le Feu – sont antagonistes, le défi était de puiser dans le dynamisme ardent les ressources nécessaires pour accepter de descendre au fond du puits, décrypter ce qui est caché et dangereux, y « mourir pour renaître », ce qui est l’essence même des valeurs Scorpion. Puis, une fois l’opération alchimique réalisée, se réconcilier avec les émotions et la spontanéité de l’enfance. Et enfin libérée, indépendante, en femme nouvelle (Lune en Verseau) capable de « materner » sur un mode original et personnel, faire rayonner sa créativité dans le monde (Lion au Milieu du Ciel).
Nicky de Saint-Phalle a toujours aimé écrire et pensait même devenir écrivain ; elle est l’auteure de plusieurs ouvrages illustrés par ses soins dont un récit autobiographique « Mon Secret ». Elle y raconte à la manière d’un livre pour enfants comment son père l’a violée quand elle était enfant. « J’ai écrit ce livre d’abord pour moi-même, pour tenter de me délivrer enfin de ce viol qui a joué un rôle si déterminant dans ma vie. Je suis une rescapée de la mort, j’avais besoin de laisser la petite fille en moi parler enfin… J’ai longtemps pensé que j’étais une exception, ce qui m’isolait encore plus ; aujourd’hui j’ai pu parler à d’autres victimes d’un viol : les effets calamiteux sont tous les mêmes : désespoir, honte, humiliation, angoisse, suicide, maladie, folie, etc… Le scandale a enfin éclaté ; tous les jours des révélations jaillissent sur ce secret si jalousement gardé pendant des siècles : le viol d’une multitude d’enfants, filles ou garçons, par un père, un grand-père, un voisin, un professeur, un prêtre, etc… Après le Secret, j’ai l’intention d’écrire un autre livre adressé aux enfants, afin de leur apprendre à se protéger : parce que l’éducation qu’on leur donne les laisse sans défense contre l’adulte… ».
Après les trois signes fixes valorisés dans le thème de Nicky de Saint-Phalle (Scorpion, Lion et Verseau) qui traduisent la détermination et la résistance, celui du Cancer montre une nature émotive, hypersensible, impressionnable et vulnérable, chez un être qui risque de rester longtemps, voire toujours, attaché au monde de l’enfance. Imprégnée de souvenirs, il se réfugie dans un cocon subjectif et tout s’inscrit en lui dans son psychisme malléable et changeant. Capable d’émerveillement, c’est à travers son sentiment d’appartenance que le natif de ce signe tente de stabiliser les mouvements de sa vie intérieure pour sortir de la coquille enfantine et accéder à une position maternelle, nourricière à son tour. De la dépendance à la capacité d’accueil, là est son chemin d’évolution. Quant à l’Ascendant Scorpion, il ne dévoile rien de lui-même. Et s’il se sent blessé ou en danger, il peut alors se montrer agressif et vindicatif. Il lui a donc fallu tuer à la carabine les démons obsessionnels qui la retenaient prisonnière d’une enfance dévastée, avec courage et en artiste. Grâce à sa pugnacité (Mars), son besoin d’être soi (Soleil Scorpion conjoint à l’Ascendant) et à ses aptitudes artistiques (Vénus Sagittaire en secteur II, les dons, les talents) ainsi qu’à son audace lié à un fort besoin de se différencier (Uranus en bon aspect du Milieu du Ciel), cette femme, abusée dans son intimité par celui dont elle attendait la protection, a pu trouver en elle-même les ressorts d’une métamorphose profonde et radicale pour changer le plomb du traumatisme en or. Son art, d’abord thérapeutique au sens personnel lui a servi d’exutoire puis de réparation du « féminin sauvage » dont parle la psychanalyste jungienne Clarissa Pinkola Estès. C’est sans doute pourquoi il laisse échapper comme un parfum mythique qui tend à l’universel et que goûtent sans a priori les enfants qui jouent avec les « Nanas » de Nicky de Saint-Phalle, Grandes Déesses de l’Antiquité ressuscitées dans nos jardins urbains.
Quand un journaliste lui demande pourquoi elle fait des « Nanas » aussi énormes alors qu’elle a toujours une taille mannequin, elle répond « Les sculptures des anciennes sociétés matriarcales étaient comme ça. C’est le symbole de la puissance et de la créativité féminines. Représenter une mère mince et svelte ne dégage pas cette force là. Et puis mes sculptures sont nées ainsi, je ne peux pas l’expliquer : chez moi, tout est instinctif. ».
Voilà bien la signature Scorpion qui exprime sa puissance de régénération ! Et pour souligner cette profusion créatrice indiquée par l’exaltation de Jupiter en Cancer dans le signe de la fécondité, laissons la parole à l’historien d’art, Pierre Restany : « L’œuvre de Nicky de Saint-Phalle est immense. Pas seulement par la quantité et la diversité des pièces produites, mais avant tout par sa portée humaine. Elle illustre sur cinquante ans désormais la poursuite d’un destin exemplaire mené sous l’impulsion instinctive et visionnaire d’un profond amour de la vie qui s’est traduit d’emblée par l’exercice souverain de la liberté dans l’imagination créatrice ».
- ©2007
