Lorsque Robert Schumann voit le jour, le 8 juin 1810 à Zwickau, en Saxe, le Soleil occupe la portion d’écliptique attribuée aux Gémeaux. Ce signe mutable évoque la multiplicité. Compositeur, critique musical, poète, journaliste, le musicien était surtout pétri de littérature. Son père, traducteur, écrit sans succès mais avec ferveur des histoires fantastiques. C’est dans la librairie paternelle que Robert Schumann découvre dès sa prime jeunesse les plus belles œuvres du romantisme allemand. L’écriture fut sa première vocation et longtemps il hésita entre littérature et musique, une discipline pour laquelle il manifesta des dons précoces que son père encouragea. Brillant durant sa scolarité, il acquiert très tôt une grande culture littéraire mais, dès l’adolescence, la mélancolie le submerge.
Après le décès prématuré de son père en 1826, sa mère l’incite à entreprendre des études de droit. Il obéit, entre l’université de Leipzig et s’y ennuie ferme, loin des siens. Il ne se fait pas à la vie estudiantine. Dans un salon, il rencontre Friedrich Wieck, éminent professeur de piano, père d’une enfant prodige, Clara, alors âgée de neuf ans. Il pense avoir trouvé sa voie. Il veut étudier sérieusement la musique, être musicien. Mais pris de doute et d’une irrépressible envie de fuir, il part faire un grand voyage en Allemagne, en Suisse et en Italie suivant le périple des grands romantiques. Ses biographes se plaisent à citer une lettre à sa mère en juillet 1830 : « Ma vie a été une longue lutte de 20 ans entre la poésie et la prose ou, si tu veux, entre la musique et le droit. A Leipzig, j’ai rêvé et flâné (…), ici j’ai travaillé davantage, mais ici comme là-bas je me suis senti irrémédiablement voué à l’art. Si je puis suivre mon génie, il me conduira à l’art, et, je le crois, sur le bon chemin ». Sa mère est consternée et n’adhère pas à sa décision. Il demande l’arbitrage de Wieck qui réussit à la convaincre. « Je pends la responsabilité de Monsieur votre fils qui, grâce à son talent et à sa personnalité, deviendra l’un des plus grands pianistes de notre temps… ».
Au retour, il s’installe chez le professeur, homme dur, sévère et autoritaire, divorcé de la mère de Clara et qui considère le talent de sa fille comme son œuvre propre ; les dons de Clara, virtuose à onze ans, lui fournissent en effet une excellente publicité. Cet être va devenir le père tutélaire de Robert : artisan de son destin, certes, mais aussi père fouettard tyrannique. Pour apprendre plus vite et répondre aux attentes de son professeur, il se fabrique un appareillage destiné à forcer le travail de ses doigts. Il s’acharne et finit par souffrir de l’engourdissement de sa main droite. Une paralysie le prive définitivement de l’usage de cette main. Il a vingt-deux ans et se trouve dans l’obligation de dire adieu à la carrière qu’il visait. De plus, il est en proie à la panique, à des phobies irraisonnées. Il craint de devenir fou. Il veut se jeter par la fenêtre comme l’avait fait sa sœur aînée Emilie, sept ans plus tôt, dans un accès de folie, suicide qui avait extrêmement marqué sa personnalité sensible. Il veut fuir, échapper à ses pressentiments morbides qui se réaliseront vingt ans plus tard. D’autres deuils brutaux se rajoutent à la liste des proches (un de ses trois frères, Julius, et sa belle-sœur Rosalie qu’il adorait). Il plonge dans sa première grande dépression en 1933. Il se rétablit pourtant et compose ses premières œuvres. Peu à peu, il surmonte son désarroi. C’est à cette période qu’il débute une carrière parallèle en lançant une revue musicale avec ses amis. Les années passées en compagnie de Clara les avait rapprochés. Aux liens amicaux succèdent de tendres sentiments. La mort de sa mère en 1936 précipite les choses. Un grand amour passionné s’éveille entre ces deux êtres aux riches aptitudes mais déjà blessés par la vie.
Devant l’attitude implacable de Wieck qui s’oppose violemment à leur union et va jusqu’à calomnier publiquement Schumann, les deux amants en sont réduits à lui intenter un procès. Ils le gagnent et obtiennent le droit de se marier sans son consentement. La cérémonie a enfin lieu le 12 septembre 1840 et commence alors pour le couple une courte période de bonheur. L’année précédente, Robert écrivait à Clara : « J’entre dans ma vingt-neuvième année ; sans doute la plus grande partie de ma vie est-elle derrière moi. Je ne vivrai pas très vieux, je le sais avec certitude : ce que j’ai dû subir pour toi, mes grandes souffrances, m’ont déchiré. Mais c’est encore toi qui m’apportera la guérison et la paix ».
Malgré une parfaite complicité, une communion de goûts et les huit enfants que Clara lui donnera, Schumann souffre : insomnies, crises de larmes, symptômes hallucinatoires, peurs de cesser de penser. Le décès de son ami Mendelssohn réveille ses terreurs maladives. En 1954, ses troubles s’intensifient, il a des difficultés de parole, des hallucinations auditives, il se voit perdre la raison et perçoit cette folie comme un châtiment. Il fait tourner les tables, activité prisée à cette époque, en quête éperdue de réponses de l’au-delà. Il décide de se rendre dans un asile d’aliénés. Mais le 27 février, le lundi du Carnaval, il sort de chez lui. Obsédé par les rondes des masques effrayants, il court à travers la ville et va finalement se jeter dans le Rhin, un fleuve qui l’avait tant inspiré. Sauvé par des bateliers, il est interné à l’asile d’Endenich. En descendant de voiture, il murmure : « c’est ici ». Pendant les deux années de son séjour, son état va en se détériorant. Ses lettres à Clara laissent percer son incohérence mentale et sa fixation au passé. Ses souffrances empirent, il ne veut plus recevoir de visites et cesse peu à peu de se nourrir. Le 29 juillet 1856, à 46 ans, le compositeur de génie s’éteint après avoir eu le temps de reconnaître sa femme, aussitôt accourue, et de la serrer dans ses bras. Clara lui survivra quarante ans, élevant ses enfants, faisant vivre sa famille, jouant inlassablement les œuvres de son mari en tournée, composant elle aussi de nombreuses morceaux dont la valeur est aujourd’hui mieux appréciée. « L’artiste doit se tenir en équilibre avec la vie, sinon il sombre », avait écrit Robert Schumann.
Partagé, le musicien le fut toute sa vie. Il souffrait d’un mal appelé de nos jours trouble bi-polaire, antérieurement diagnostiqué psychose maniaco-dépressive, alternant des phases d’excitation, d’exaltation, suivies de périodes d’abattement dépressif. Son thème natal met en scène une personnalité complexe, aux prises avec des tendances antagonistes : une conjonction Soleil – Mars dans le signe des Gémeaux opposée à Saturne en Sagittaire et conjoint à Neptune. Cette opposition centrale, déjà symbolique en soi d’une structure psychique instable, se trouve relié en dissonance à Pluton, évocateur d’un arrière-plan obscur générateur d’une angoisse de mort délétère, indice probable d’un héritage psycho-généalogique. Si le caractère est adaptable il est surtout instable, imaginatif, fantasque et très vulnérable. Les émotions prennent le pas sur la volonté et l’être est sujet à des remous intérieurs, des tensions, un sentiment d’échec masqué. Le versant mercurien lui octroie une jeunesse d’esprit, un côté ludique, le goût de la mobilité, du changement, des capacités d’expression variées et une bonne dextérité, une grande vivacité. Mars, dans le signe solaire des Gémeaux, apporte un enthousiasme juvénile, une impétuosité qui confine à l’impulsivité. On y lit son attrait pour l’écriture, la composition, la création. Mais dans cette figure majeure, ce pôle actif et combatif affronte une tendance « froide », génératrice d’introversion et de mélancolie. Car en face, Saturne, planète de terre, principe de rigueur et de structuration, s’identifie à Neptune, facteur aquatique dissolvant, valant échappatoire dans l’imaginaire et démission face aux obstacles, perte de contact avec le réel et ses limites. Les désirs d’évasion, les conduites de fuite, deviennent la réponse aux pressions saturniennes. On voit donc se dessiner un être écartelé entre des valeurs vitales productrices d’une fièvre créatrice et des tendances au repli dramatisées par Pluton qui traduit l’emprise des structures inconscientes. Sa fragilité psychique est amplifiée par la Lune en Vierge dissonante, facteur de nervosité : « Je suis déchiré aux racines mêmes de ma vie », confie t-il à Clara.La lune, principe féminin maternel, renvoie l’image intériorisée de la mère et révèle le type de rapport que le sujet entretient avec son féminin intérieur. Elle montre ici une facette de timidité, un filtre mental défensif face aux émotions, une peur de se relier à son intériorité sensible et une image de la femme identifiée à la dimension pratique de l’existence. En maison VIII, secteur des crises et des mutations, elle évoque également la culpabilité sous-jacente qui le taraudera toute sa vie. Ce fut Clara qui subvint pour la plus grande part aux besoins familiaux. Une autre planète lente, Uranus, domine le thème à son zénith, secteur représentatif des valeurs que l’individu tente de réaliser ; principe de singularité, d’innovation, voire de rébellion, révélatrice du génie du sujet, de ses capacités de liberté envers les règles en vigueur, notamment en matière musicale où il s’affranchit des formes classiques. Il introduit une rupture de rythme, une syncope, un style irrégulier fait de brisures, nourri d’élans contrariés (Saturne) vers les grands lointains (Sagittaire) et de torrents d’émotion (Neptune) qui refluent sous la maîtrise du mental. « La musique est ce qui nous permet de nous entretenir avec l’au-delà » pensait Schumann.
La dualité dans laquelle il se débat, se projette sur les deux personnages qu’il invente, Eusébius et Florestan, sortes de frères ennemis, adversaires et complémentaires, figurant sans doute les deux aspects de sa personnalité qu’il sentait s’opposer en lui et qu’il fait dialoguer, l’un sur le mode ironique, l’autre sur un registre plus tendre. Les Gémeaux sont justement en analogie avec la fratrie et l’adolescence. Le noyau dur de cette personnalité contrastée se situe autour d’un problème d’identité représenté par ce soleil flanqué du « trio infernal » : Mars, Saturne et Pluton, amplifié par Neptune. Robert Schumann a perdu son père à l’âge critique de l’adolescence (Saturne transitait le soleil et tout l’aspect problématique du thème) période de la vie éminemment importante pour la structuration psychique et la maturité à venir. La disparition de cet appui à ce moment équivaut à une trahison. La perte est ressentie comme un abandon, elle oblitère la confiance en son propre sexe et fait émerger une profonde culpabilité corollaire de sentiments négatifs qui ne manquent pas d’envahir la psyché de l’enfant désemparé. D’autant que, dans son cas, le décès de sa sœur venait juste de survenir de manière violente et que d’autres zones d’ombre devait consteller l’histoire familiale. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que Schumann qui s’épanchait facilement et parlait volontiers de lui-même n’ait jamais fait aucune allusion à ce deuil. En perdant son père, il perdait tous ses repères : son soutien, son ami le plus cher, son double, peut-être même un certain accès à la parole, condition de la symbolisation des affects : « L'homme intérieur n'a pas de langage ; il est muet. »
A partir de ce moment et jusqu’à la fin de sa vie, il ne cessa d’osciller entre le pôle maniaque (Mars) et le pôle dépressif (Saturne), de basculer entre des états de créativité fébrile (il composait une symphonie en quelques jours) et des moments de prostration qui allèrent en s’aggravant. Retranché dans son monde intérieur il s’éloigna peu à peu de la réalité du monde extérieur. « Le bonheur des élus est fait de leur souffrance », avait-il également écrit. La face menaçante de ce complexe - père potentiellement destructeur (que son beau-père incarna dans une certaine mesure), ce surmoi persécuteur, véritable gendarme intérieur, source de scrupules paralysants et d’une obsédante culpabilité, le mena jusqu’à l’autopunition : la paralysie de son index, qui fut aussi le ressort de sa carrière. Cette infirmité qui le frustre - et dans laquelle les psychanalystes ont vu une problématique inconsciente de castration liée à une névrose d’échec – est aussi ce qui va l’obliger à se consacrer à la composition pure. On peut donc voir astrologiquement exprimé dans l’architecture de son thème le nœud du problème qui fut au cœur du drame du musicien.
En revanche, le mystère de son génie échappe à l’investigation. Ne serait-il pas la face cachée, l’envers de la médaille, le lieu de la sublimation ? Comme si payer le cruel tribut de sa conscience troublée était le prix d’accès à la création et la musique la réponse désespérée aux voix qui l’interpellent du dedans ? Une interrogation qui était le pivot de la belle exposition « Mélancolie » qui s’est tenue en 2005 aux Galeries Nationales du Grand Palais à Paris et dans laquelle l’ensemble des œuvres mises en relation permettait d’approcher ce jeu du génie avec la folie.
© 2008