Le 2 mars 2011, vingt années se seront déjà écoulées depuis que Serge Gainsbourg, a quitté notre monde. « L’homme à la tête de chou », auteur - compositeur - interprète - cinéaste et provocateur attitré du landerneau français pendant une trentaine d’années, restera dans les annales pour son talent comme pour son personnage.
Lucien Ginsburg voit le jour à Paris, avec sa sœur jumelle Liliane, le 2 avril 1928, dans une famille d’origine russe qui a fui la révolution bolchévique. Son père Joseph, épris d’art, gagne sa vie en jouant du piano dans les cabarets. Sa mère Ollia le console lorsqu’il reçoit des coups de cravache de son père qui lui enseigne néanmoins la musique. « Mes premiers souvenirs furent esthétiques et musicaux », racontera t’il. Son Soleil Bélier en maison I conjoint Uranus et Jupiter, trigone Saturne mais carré Pluton souligne l’importance dans la psyché de l’artiste de cette figure paternelle à la fois non conventionnelle, distante, autoritaire, anxiogène et pourtant protectrice. Ce complexe paternel puissant, obsédant et contraignant semble être le noyau autour duquel l’enfant Lucien va s’arrimer pour devenir Serge Gainsbourg mais se détruire via son double caricatural Gainsbarre. Dans ce pôle masculin, on retrouve tous les ingrédients qui ont fait sa renommée et sa légende. Un tempérament impulsif, direct et fougueux - le Bélier - ; une âme torturée, un humour dévastateur, une bonne dose de lucidité, un besoin viscéral de provoquer – Pluton - ; un individualisme déclaré, affiché, revendiqué et une grande créativité - Uranus - ; une nature épicurienne et gourmande pouvant se montrer sympathique et généreuse, appréciant l'aisance matérielle ; capable de tous les excès – Jupiter - sans toujours bien contrôler une tendance à la vantardise servant finalement d’alibi à d’autres facettes plus secrètes de son caractère
Avec un Ascendant dans le signe des Poissons – signe de toutes les fluctuations - deux planètes personnelles, Mercure et Vénus dans le signe et repliées en maison XII, l’arrière-boutique de la carte du ciel, le lieu où l’être se retire et se sent en exil des choses de ce monde, on comprend que Serge Gainsbourg nous ait présenté tour à tour sa face solaire et sa face d’ombre et qu’au-delà de son talent, sa personnalité complexe ait tant fasciné les foules.
Le Feu et l’Eau sont les éléments dominants de ce thème. Ce cocktail mêlant du chaud et du sec avec du froid et de l’humide fait « la nature psychique, à tendance le cyclothymique, souvent contradictoire et changeante mais aussi intuitive, créative et sur-émotive ». Le sujet alterne des phases d’optimisme, d’enthousiasme, voire d’emphase avec des moments de repli, de mélancolie et même de désespoir. C’est d’autant plus accentué chez Gainsbourg que Saturne culminant et dissonant l’écrase de frustration. Un sentiment de doute, de manque, d’incomplétude, l’habite. On lit ici le blocage des besoins naturels d’expression, de communication, de contact, de partage et d’attachement ployant sous le joug de Saturne intériorisé comme un gendarme coercitif, un surmoi persécuteur, par sa dissonance à l’Ascendant, à Vénus et Mercure. On peut noter que Saturne gouverne la maison XI, secteur social par excellence. « Je suis en sursis depuis un demi-siècle : en 1942 nous avons failli être arrêtés par les miliciens. Ma mère nous a sauvés, mes deux sœurs et moi. J’ai grandi sous une bonne étoile jaune. Ce que je vis depuis est un cadeau... ». Si sa vie est préservée cette fois-là encore, elle l’avait déjà été autrefois quand sa mère avait essayé d’avorter de ses jumeaux, ce qui lui fit dire « Je suis éternellement sursitaire ». La Lune Noire moyenne, en Scorpion et en maison VIII, n’atteste - t’elle pas comme l’affirmait l’astrologue Joëlle de Gravelaine « d’une contestation verticale de la mort » ? On peut également rapprocher de ce point éminemment compulsif le décès, à dix-huit mois, de son frère Marcel dont le deuil a pu laisser des traces dans la lignée. Pour l’astrologue et psychanalyste Philippe Granger la Lune Noire en Scorpion – signe en analogie avec la différence des sexes et son intégration psychique - évoque une problématique oedipienne, Selon lui, « le sentiment donjuanique de ne jamais pouvoir se satisfaire sur le plan libidinal, de ne jamais pouvoir trouver l’apaisement » est lié à cette position qui peut se traduire par « la négation du désir de l’autre ou de son propre désir », par un « désir de mort, une mélancolie ». Le désir est impossible, condamné ; absolu, c’est est aussi un refus absolu de l’autre, de l’altérité. D’ailleurs, les Poissons, signe de l’Ascendant de Gainsbourg, de Mercure et de Vénus, aspirent à la fusion, c’est-à-dire en réalité à la dépersonnalisation. Ils rêvent d’un état édénique où tout est en osmose. Le natif des Poissons est un nostalgique de l’infini, de l’indéfini
La maison VIII, lieu de confrontation des désirs qui vient après la maison VII, lieu de rencontre de l’Autre, est en définitive un lieu initiatique où il s’agit de perdre pour être. Un défi qui semble avoir animé Serge Gainsbourg, peut-être malgré lui, à travers les épisodes marquants de sa vie. La mort à laquelle il échappa, enfant, il ne cessa ensuite de la narguer tout en récusant toute attitude suicidaire alors qu’il brûlait la vie par les deux bouts, continuant à boire et à fumer même après son accident cardiaque en 1973. Un aspect d’Uranus au Soleil, surtout dissonant, alerte l’astrologue sur une possible fragilité du cœur ; a fortiori quand il gouverne la maison VI, secteur de la santé et des limites que Serge Gainsbourg a allégrement malmenées. Comme on pouvait s’y attendre, hélas, lors de son décès, en mars 1991, Uranus transitait au carré du Soleil...
Pluton, astre des ténèbres, est ici maître de sa maison, la VIII, lieu traditionnel, entre autres, de la sexualité, un domaine qui a focalisé les pulsions du sujet. On sait que le plutonien est un angoissé qui vit dans l’attente de la mort et tente d’y résister, de lutter contre la perte de pouvoir qu’il pense inéluctable s’il montre sa vulnérabilité. Il cultive le refus, la résistance, de manière compulsive parfois et souvent inconsciente. Son énergie se transforme en angoisse, en désir destructeur et en culpabilité. Ambivalent, il est aux prises avec deux forces contradictoires, Eros et Thanatos et sa quête d’absolu peut basculer vers des conduites extrêmes et la transgression des interdits Personne n’a oublié l’épisode du billet de banque brûlé en direct à la télé le 11 mars 1984. La sexualité joue, pour lui, le double rôle d’une réassurance par son emprise sur autrui et une façon de se relier à la source de vie. Valeur forte du thème de Serge Gainsbourg, échappatoire de l’opposition centrale Lune – Vénus, Pluton en maison V nous livre la clef de la vie amoureuse remplie et compliquée du chanteur. D’un côté, sa Vénus en Poissons dévoile une sensibilité exaltée et une forte sensualité. Conjointe à l’Ascendant, elle lui a fait don de ses dispositions artistiques et de son irrépressible besoin de séduire, d’être aimé, compensateur d’un sentiment de manque et d’abandon profondément ancré dans sa psyché. De l’autre, sa Lune en Vierge, en maison VI, génératrice d’une entrave au narcissisme, traduit ses doutes et son sentiment d’infériorité : Gainsbourg ne s’aimait pas et souffrait de se trouver laid jusqu’à l’obsession. Elle évoque fragilité, timidité, pudeur et tranche avec le côté cynique et désinvolte affiché par ailleurs. Proche de Neptune, elle incline à l’évasion, voire à la fuite dans l’imaginaire. « Je ne suis pas de ce monde » disait-il.
L’opposition entre les planètes analogiques du féminin maternel et du féminin érotique induit une instabilité affective. Si l’on connaît nombre de ces très jolies femmes dont il est tombé amoureux, Béatrice, Jane Birkin, Brigitte Bardot, Bambou, sa relation poursuivie en coulisses avec son ex-première épouse, Elisabeth Levitsky, rencontrée en 1947 dans un cours de peinture à Paris, se situe du côté de la sécurité émotionnelle, d’un besoin de consolation et d’un lien au passé. Lucien Ginsburg voulait devenir un grand peintre. Sa Lune gouverne la maison V, lieu de la création. Adolescent, il cultive la passion du dessin et va au Louvre, un chevalet sous le bras, pour copier les grands maîtres. Il suit des cours dans l’atelier d’André Lhote et de Fernand Léger. Il dit préférer « les lignes courbes aux lignes droites parce que, dans la nature, les droites n’existent pas ». Mais il ne se sent pas à la hauteur de cet art majeur qu’il révère et détruit ses toiles. Le sentiment de culpabilité, les scrupules étouffants dictés par une dissonance de Saturne aux planètes d’expression ont-ils eu raison de sa vocation ? Faut-il y voir la marque d’un renoncement face aux attentes parentales - planètes en maison XII - réelles ou fantasmées pesant trop sur lui et la crainte – Saturne – de ne pas les assumer ? Ou le propre d’un carré de Pluton au Soleil induisant chez le fils un refus inconscient de suivre le modèle paternel et la tendance auto-destructrice qu’il engendre le plus souvent ? En tout les cas, sa réussite dans la carrière musicale ne lui apporta jamais véritablement l’apaisement « Il ne se pardonnait pas d’avoir abandonné la peinture, il se sentait en faute », dit Lise Levitzky « Ce n’est pas pour rien qu’il se représentait en Saint-Sebastien, le martyr transpercé de flèches » .
La carte du ciel de Serge Gainsbourg affiche une configuration forte : Jupiter, Soleil, Uranus au trigone de Saturne en signes de Feu. Ces deux planètes antinomiques, Jupiter, l’expansion, Saturne, la rétraction coopèrent. On pourrait s’attendre à ce que le sujet trouve un équilibre entre abondance et restriction. Il n’en est rien en raison du carré de Saturne à l’Ascendant, d’abord, qui induit inhibition et méfiance, et du carré de Pluton, ensuite, aux planètes en Bélier qui dramatise les pulsions traduisant un forcené besoin d’exister. Comment alors se modérer quand le doute vous fouaille l’intérieur et que la provocation est la défense ultime. « Je mourrai d’une maladie très simple, le retrait exténué de la vie » sont ses propres mots. Pourtant ces deux planètes majeures vont rythmer sa destinée. On les retrouvera actives dans les phases importantes de sa vie d’artiste, Jupiter ayant la maîtrise du secteur X, la réalisation sociale, et Sature du secteur XI, le lieu où on s’expose au regard du public.
Dans cette carte du ciel, on remarque ce qu’on appelle un axe « intercepté », en l’occurrence dans l’axe relationnel I / VII, Bélier - Balance. Ses deux planètes maîtresses, Mars et Vénus, sont reléguées en maison XII, évoquant une vie intérieure riche mais une difficulté d’expression naturelle de ces deux valeurs : la capacité à s’affirmer, Mars, et celle de tisser des liens, Vénus. Si ce couple planétaire blessé – Mars opposé Neptune, Vénus carré Saturne - a scandé ses échecs affectifs et généré son mal être, Gainsbourg l’a sublimé dans son œuvre en poète sensuel et subtil à travers les seules questions qui nous taraudent : la vie, l’amour, la mort.
© 2011-01-07